Un goût de Bacon (Francis)

Publié le par chroniques-noires-gilles-vidal.over-blog.com

couve-toile-invisible.jpgBien sûr, La Toile invisible, de Joseph Geary n’est pas une nouveauté, ce roman est même sorti en 2004 – sans qu’il ait été repris en poche depuis, ce qui est bien dommage. Mais le propos de ce blog n’est pas forcément de rendre compte des romans qui viennent fraîchement s’afficher sur les étals des libraires* – il en existe (des blogs) dont c’est la spécialité. En effet, il m’arrive de muser à droite, à gauche, dans les bacs des librairies d’occasion, et de tomber par hasard sur des livres et auteurs qui m’étaient passés totalement inaperçus, et d’avoir envie d’en parler – d’ailleurs, la production exponentielle actuelle du genre ne permet à personne de rendre compte de tout, à moins, bien sûr et encore, d’être entouré d’une armée de lecteurs-chroniqueurs employés à temps complet**. Bref et donc, cette Toile invisible est un roman à la fois curieux, car original dans son sujet, très bien documenté, classiquement (bien) écrit et qui, nonobstant quelques longueurs digressives, n’use jamais la patience du lecteur. En effet, on prend très vite parti pour le personnage principal, Nick Greer, et on finit par suivre avec délectation ses fiévreuses pérégrinations. Nick Greer est passionné par un peintre homosexuel vénéneux, Spira (en fait la réplique fictive de Francis Bacon), pour lequel il écrit depuis six ans maintenant une biographie qui devient peu à peu monumentale et, pour son auteur quasi inachevable – énervant de ce fait son éditeur qui réclame le manuscrit pour la publication et qui commence sérieusement à s’impatienter, et également sa petite amie qui, lasse de se sentir laissée-pour-compte, finira par le plaquer. Là-dessus, Nick apprend que cet artiste mythique aurait peint à Tanger en 1957, une toile mystérieuse, L’Incarnation, demeurée depuis introuvable… Il n’en faut pas plus pour que notre héros s’embarque dans une folle équipée pour retrouver cette œuvre, qui le mènera de Londres à New York, via Tanger, lors de laquelle, frayant dans les milieux huppés et foldingues de l’art contemporain, il fera la connaissance des deux amants légendaires de Spira et de collectionneurs obsessionnels n’hésitant pas à user de tous les expédients afin d’arriver à leurs fins, jusqu’à avoir, tout au bout du chemin, la répugnante révélation… La Toile invisible est sans aucun doute un thriller, avec un suspense bien emmené jusqu’à la fin, mais d’un genre qui en dépasse amplement les frontières. À souligner pour finir l’excellente traduction de Natalie Beunat et Marie-Caroline Aubert – mais vu la qualité des susdites, on s’en serait douté…

À noter que Joseph Gear est le co-auteur sous pseudonyme (ne me demandez pas lequel…), de 5 thrillers biotechnologiques ayant eu un grand succès aux USA. En fait, ce roman est issu d’une biographie de Francis Bacon qu’il avait entreprise et qui est devenue un roman.

* Il me suffirait aussi de juste retourner quelques mois en arrière et de parler élogieusement de Seul le silence, de R. J. Ellory, un roman-révélation englouti dans la ferveur, ou bien des deux romans de Steve Mosby, Un sur deux et Ceux qu’on aime (le premier épatant, le second étant hélas une sorte de copié-collé du premier), ou bien encore, toujours chez ce même éditeur Sonatine, de ce pavé indigeste – en fait une vraie escroquerie – qu’est Au-delà du mal de Shane Stevens (comment ai-je fait pour aller jusqu’à la page 398 ?). Mais à quoi bon, ces bouquins ayant déjà eu leur dose de notoriété ou d’ereintement…

** Un blog ne doit pas devenir une nouvelle sorte d’esclavage : il y a des jours, des semaines, voire des mois pourquoi pas, où l’on a envie de ne rien écrire (ceci est un clin d’œil à ce label de disques – Saravah – qui avait pour délicieuse devise : « Il y a des années où l’on a envie de ne rien faire ». Comme le disait Pierre Barouh, auteur de La Vie secrète de Dali par lui-même, à qui avait été empruntée cette devise, « cette phrase n’est pas un éloge de la paresse, c’est une subversion de l’esprit, une réflexion sur le travail, ses inhibitions et une marque de l’évolution de nos mentalités »).

© Gilles Vidal

La Toile invisible, de Joseph Geary, 426 p., traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Natalie Beunat et Marie-Caroline Aubert, 21,50 €, Éditions Le Masque, 2004.

 

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